Mona, Katrin et Isaïe

par | 20 Jan 2025 | Famille.s, Témoignages | 0 commentaires

Une histoire d’amour sans frontières

Il est des amours qui ont cette odeur d’éternel. C’est cette odeur que j’ai sentie en entendant la voix de Mona au début de notre échange. « On vit notre meilleure vie. On est bien, tous les trois. » Alors, quelle fut l’aventure de Mona et Katrin pour atteindre ce qui ressemble bigrement au bonheur ? Car, vous allez le constater, si toutes les histoires d’amour sont des aventures, celle de Mona et Katrin est particulièrement épique ! C’est dans la chaleur de la Thaïlande que les deux jeunes femmes se rencontrent. Elles travaillent dans le même village dans lequel elles sont éducatrices d’enfants. Pour l’une d’elle, le coup de foudre est immédiat, pour l’autre il faudra encore quelques mois à arpenter ensemble d’autres pays d’Asie afin que son cœur soit sûr.

Recueillir, protéger et faire famille au Népal

Alors qu’elles vivent – initialement prévu de façon temporaire – au Népal, en 2015, une série de séismes vient ravager le pays. Alors que la raison aurait pu, légitimement, les pousser à rentrer en Europe, elles décident de rester, d’aider. Elles font alors une rencontre qui bouleversera leurs vies, celle d’une toute petite fille orpheline qui, sans elles, serait sans doute morte quelques mois plus tard. Mona et Katrin créent l’association Sambhava, et une maison d’enfant. C’est plus d’une dizaine d’enfants qu’elles vont y accueillir.

Il est de ces moments où la vie prend un tournant, ce moment est donc venu pour Mona et Katrin. Bien qu’encore très jeunes, elles savent que, peu importe la tournure que prendra leur relation, elles viennent de s’engager l’une envers l’autre, et surtout envers ces enfants, sur du long terme. Le tout sans avoir besoin de se faire mille promesses, elles mesurent qu’il n’y a pas de retour possible. L’histoire ne nous dira pas si leur couple avait besoin de ce ciment pour devenir si solide, mais le fait est que devenir rapidement des figures parentales, une véritable équipe, va sceller leur destin à toutes les deux. Depuis sa création, elles passent 5 mois par an à Kathmandou, avec tous ces enfants qu’elles protègent et élèvent. On pourrait essayer ce raccourci : Mona et Katrin ont vu leur désir d’un enfant biologique poindre grâce à leur lien avec les enfants au Népal, mais non. Leur désir d’enfant a toujours été certain, tout comme l’évidence de vouloir se marier.

« Mais ! Il y a un bébé dans ton ventre ! »

Alors qu’elles ont 26 ans, elles emménagent en Allemagne, le pays d’origine de Katrin, dans lequel faire un enfant lorsqu’on est un couple de femmes sera plus facile qu’en France. Quand, dans certains couples, il est évident à demi-mot du choix de la maman qui portera l’enfant, cette décision a demandé réflexion pour Katrin et Mona. Mona a besoin de temps pour clarifier la situation, jusqu’au jour où elle se souvient : quand elle a rencontré Katrin, en Thaïlande, elle le savait déjà « Un jour, elle portera mon enfant. » Une nouvelle occasion de déclarer son amour infini à sa compagne, cette joie de lui faire ce cadeau.

Ici, nous le savons, nos amours ont besoin de sacrés coups de pouce pour que nos familles puissent se dessiner avec des enfants. Démarre alors pour Mona et Katrin le parcours PMA. Si Berlin est un écrin accueillant quand on est deux jeunes femmes amoureuses, certaines cliniques refusent de les aider. Lorsqu’une réponse positive arrive, Mona se lance dans l’organisation. S’ensuivirent des essais infructueux, jusqu’à ce cycle, celui-ci qui ne devait initialement pas coïncider avec leur date de départ pour le Népal, ce qui décalait le 4e essai à l’année suivante… Mais, je vous laisserai libres de qualifier cela de miracle ou non, le corps de Katrin a la malice de vivre un cycle plus court de 5 jours. C’est le branle-bas de combat : elles filent à la clinique, grâce au labo, qui s’ouvre juste pour elles, et elles prennent leur avion, remplies de cet espoir que l’on connait bien, ici.

A leur arrivée à Kathmandou, alors que le petit embryon n’a alors pas 3 jours, cette petite fille, celle-là même qui fut leur première recueillie, regarde le ventre de Katrin et dit : « Mais ! Il y a un bébé dans ton ventre ! ».  Des miracles, je vous dis. Les mois qui suivent ont le goût de la douceur. Elles apprennent que oui, elles attendent bien un enfant. Et elles l’apprennent dans ce pays choisi, avec ces enfants choisis autour d’elles dont elles s’occupent tous les jours. Il y a tout de même ce moment où leur enfant est en danger, où les hôpitaux ne laissent pas Mona accompagner Katrin, où il faut faire acheminer des hormones depuis Delhi… Mais tout rentre dans l’ordre, et elles rentrent passer la fin de grossesse et préparer la venue de leur bébé en Allemagne.

Une aventure dans le lait et l’organisation

En Allemagne, Mona est gouvernante et s’occupe de 5 enfants dont un bébé 56 heures par semaine. Cette réalité la frappe : elle ne veut pas s’occuper de son propre enfant moins de temps que celui-ci. Mona et Katrin entament alors les discussions pour organiser l’arrivée de leur enfant et décident d’avoir comme horizon une répartition à 50-50. Mona qui, on l’aura compris, ne fait pas les choses à moitié, se forme en tant que doula pour accompagner Katrin au mieux. Toutes deux sont séduites par l’idée que Mona se lance dans la grande aventure de l’allaitement induit. La chance leur sourit : très vite après avoir commencé à se servir du tire-lait, elle a du lait.  Pour ce qui est de l’accouchement, elles se tournent vers une naissance la plus naturelle possible, sans médicalisation, dans une maison de naissance.

Entre chants et hurlements de louve

Il est de coutume de dire qu’en matière d’accouchement, il ne faut s’attendre à rien, rien ne sert de prévoir. Ces phrases à l’emporte-pièce m’ont personnellement toujours un peu agacée car, à part prévoir, que peut-on bien faire quand on attend son premier accouchement ?

Mona et Katrin s’étaient préparées. Quand Mona me fait l’incroyable récit de la naissance d’Isaïe, elle décrit Katrin comme une louve, une lionne. Une louve qui a choisi de rester longtemps chez elles avant de rejoindre la maison de naissance. Long, c’est une des multiples façons de décrire le travail qu’elle a vécu. 42h. Les sages-femmes ne les lâchent pas, Mona ne lâche pas Katrin. C’est long, mais Mona décrit ces heures comme vécues dans une grande harmonie, entre chants et hurlement de louve.

Il faut courir

Et puis tout s’emballe. Le liquide amniotique souillé, la panique des sage-femmes qui quittent la salle, l’incompréhension de Mona. Une sage-femme senior qui arrive, qui prend les choses en main brusquement, on pousse leur enfant hors du ventre de Katrin. Tête qui ne passe pas, épisiotomie, 40 points de suture.

Mona s’est alors sentie dépossédée de sa capacité à aider alors, quand son fils est là, elle lui parle, elle l’accueille et c’est elle la première qui voit : ça ne va pas. Il ne va pas bien. La vie ne s’installe pas dans son enfant, elle le sent, elle le sait. Mais tout le monde est alors concentré sur Katrin qui fait une violente hémorragie. Quand elle se fait enfin entendre, c’est déjà le moment de courir, littéralement, courir depuis la maison de naissance jusqu’à l’hôpital, son fils dans les bras, sa femme derrière elle.

Mona n’est pas grand-chose alors aux yeux du personnel, ce n’est pas « la mère », on la laisse dehors. Attente. Ce genre d’attente là où le temps s’épaissit comme de la boue. Comment s’appelle-t-il ? on lui demande. Elle ne sait pas, Katrin et elles hésitent encore. Que faire ? Courir encore. Vers Katrin cette fois, mais la retrouve inconsciente. Alors courir encore, vers Isaïe, mais la porte reste close. Elle appelle ses proches, mais aucun de leurs mots ne lui fait du bien.

Et enfin, Isaïe

Et enfin, elle voit son enfant. Dans une boîte, accroché à des fils, des boutons, elle ne le distingue pas bien. Est-il blond ou brun ? Parfois, dans les brumes de la panique, notre cerveau nous joue des tours. Mona se dit qu’elle aimerait bien aussi un bébé tout beau, pour épargner à Katrin toute cette épreuve, qu’elle puisse voir leur enfant aussi joli que celui-ci… Elle pleure. Une sage-femme lui lance : « Il n’y a pas de place ici pour pleurer dans les couloirs ! ». Alors, où est-ce que je peux pleurer ?

Dans la chambre de soins intensifs, on lui dira qu’elle ne peut pas le toucher. Que seule la mère allaitante peut rester. Elle est une mère allaitante, alors elle commence à tirer son lait, seul geste qu’elle est autorisée et capable de faire pour prendre soin de son fils. Mais on refuse de lui donner, on ne donne pas le lait des étrangères aux bébés.

Le temps passe, et enfin, elle peut le prendre contre elle. Isaïe veut vivre, intensément. Dès ce premier contact, il respire seul. Katrin les rejoint, ça commence à plus ressembler à la vie. Mona se cache pour allaiter Isaïe et, après un séjour en pédiatrie, la famille peut rentrer à la maison. Isaïe est déterminé à vivre, il tient sa tête très vite, et il devient ce petit bonhomme apaisé d’être là, dans son royaume de lait, entouré de ses deux mamans nourricières.

Je suis sa mère

Mona devra l’adopter en Allemagne. On la regardera sous toutes les coutures, littéralement à coups de prises de sang. On lui accorde, mais la France lui refuse, elle ne reconnait pas cette adoption. Elle reconnaît Isaïe. On lui refuse aussi. Il faut alors ressortir les crocs de louve, se tourner vers des associations, le défenseur des droits. Elle refait une adoption plénière depuis le début. Mona, depuis le personnel soignant qui refuse son lait, continue de défendre sa place : elle est la mère d’Isaïe, et enfin elle le devient aussi au nom de la loi française.

Quand je lui demande à quel moment elle s’est sentie être mère, Mona me dit « Depuis toujours. Depuis qu’on l’a attendu dans nos cœurs avant qu’il vienne se loger sous celui de Katrin, je me suis sentie mère, mais là, dans la chambre de soins intensifs, là je l’ai reconnu ». Pour certain-e-s, ce lien peut prendre du temps avant de se tisser. Pour Mona et Katrin, la peur de la perte à décalé toutes ces interrogations. « Il fallait qu’il vive pour qu’on vive toutes. »

Aude

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