Peux-tu présenter ta famille ?
J’ai 40 ans, je suis marié et avec ma femme, nous avons une fille qui a 5 ans.
J’ai grandi avec ma mère lesbienne et ses compagnes successives. Elle nous a quittés il y a vingt ans maintenant et aurait 70 ans aujourd’hui.
Ma mère a d’abord vécu avec un homme avec qui elle a eu un premier enfant. Elle a ensuite eu une relation avec une femme et son ex a obtenu la garde.
Puis, avec sa compagne de l’époque, elle a eu le désir d’avoir un autre enfant. Sa compagne a donc recherché un donneur connu, pour des raisons génétiques et afin d’avoir ses informations ou une photo si l’enfant le demande. Mon père est ainsi un de leurs amis de l’époque. C’est d’abord la compagne de ma mère qui a essayé. Une fois la grossesse concluante, ma mère a eu un sursaut d’envie et a suivi le même “mode opératoire” : j’ai donc une grande sœur qui a 4 mois de plus que moi.
C’est d’ailleurs la première fois que je lis ce que j’ai vécu dans un article (celui de Libération) : naître sans assistance médicale à la suite d’une insémination sans le regard d’un médecin. On parle d’une insémination médicalement assistée mais là, plutôt qu’un médecin, c’est une copine qui “assiste”. Puis Il faut un donneur, une pipette. Ma mère m’a donc eu comme ça.
Puis, ça n’a pas beaucoup duré, ma mère et sa compagne se sont séparées. J’ai perdu contact au fur et à mesure avec ma grande sœur, quasi une jumelle en termes d’âge, car sa mère a coupé les ponts sur son passé lesbien. J’ai le souvenir malgré tout d’une famille soudée car mon père a essayé d’être plus présent à partir de ce moment-là. Il n’a pas fait jouer ses droits, mais a obtenu de ma mère d’être plus présent même si ce n’est pas ce qu’elle avait en tête et qu’il avait consenti à être seulement un géniteur.
Il est ensuite parti vivre en Argentine quand j’avais 10 ans, je suis allé le voir tous les quatre ou cinq ans. Depuis que je suis adulte, il a fait l’effort de venir nous voir deux fois, à l’occasion de mon mariage et pour rencontrer sa petite-fille. Je considère que j’ai un père, mais il n’est pas une figure parentale non plus. Il avait du temps avec nous deux quand nous étions petits avec ma soeur. Puis, avec la très grande distance et l’absence des moyens de communication actuels, ce n’était pas facile de communiquer. La relation s’est faite à l’adolescence quand j’y allais et quand il venait.
C’est surtout ma mère qui m’a élevée avec ses différentes compagnes. Elle a eu une vie bien chargée et chacune d’elles m’a aidé à grandir et m’a apporté quelque chose d’intéressant. J’en ai au moins 4 en tête, une c’était l’informatique et l’autre le côté artistique. Et pour répondre aux clichés selon lesquels il aurait pu me manquer quelque chose de primordial : c’est mon oncle qui m’a appris à me raser !
Comment l’entourage de ta mère et celui de ton père ont accueilli ce schéma familial à l’époque ?
J’ai connu ma famille paternelle qui ne m’a jamais ignoré, malgré sa vision plutôt vieux jeu. Mon père était considéré comme un électron libre et cette forme de paternité a été prise comme une de ses lubies parmi d’autres.
Du côté de ma mère, il n’y a jamais eu de souci. Elle était l’aînée d’une famille de 7 et elle avait plutôt l’autorité pour imposer ses choix.
Quel a été le plus gros obstacle que tu as rencontré dans ta vie dans ce schéma familial extraordinaire pour l’époque ?
J’ai très mal vécu la Manif pour tous. Je vivais dans le XVIe et voir des drapeaux un papa-une maman c’était très difficile. J’ai donc découvert tardivement à ce moment là **que je faisais partie d’une minorité étant enfant d’une mère lesbienne. Or j‘avais jusque-là ressenti comme un avantage d’avoir été élevé dans un cadre familial stable avec une mère célibataire. C’est d’ailleurs ma cousine qui m’a, à l’époque, informé que ma mère était lesbienne, je n’avais même pas tilté plus jeune !
Ma mère qui était très “Dolto”, a vu que j’avais des maladies chroniques et croyait que je somatisais. Elle m’a donc expliqué plusieurs fois ma naissance, elle était persuadée que le corps traduisait des non-dits.
Ma mère m’a tout de même beaucoup épargné. J’ai été étonné plus tard d’une réaction d’un pote, faisant partie des personnes qui ne pouvaient pas croire que je vivais bien les choses : il m’a dit que ce n’était pas possible que je sois heureux avec mon mode de vie.
C’est donc aujourd’hui seulement et par le biais du vécu de ma fille qui a plus de grand-parents que les autres camarades de sa classe (et qui le vit très bien!) que je découvre cette structure de famille nombreuse.
Comment se passe ton quotidien aujourd’hui dans ta famille ?
Ma fille connaît son arbre généalogique, même si l’histoire est encore plus compliquée (sinon ce serait pas drôle !). En effet, il y a trois ans, j’ai fait l’objet d’une adoption simple par ma marraine, une amie de ma mère du groupe de 10 copines lesbiennes. Ma fille a donc 2 grand-mères de plus !
Pour ma fille, je décris ma famille qui compte une demi-douzaine de grand-parents. Et ma femme qui est africaine lui parle aussi de la sienne car pour elle, les liens d’après sont aussi importants que les liens du sang.
A une époque, j’avais un peu tendance à préserver les gens. Maintenant, je n’en ai rien à faire et depuis les manifestations, je suis beaucoup plus vindicatif. Je n’hésite plus à parler de ma famille, je n’ai plus envie de me cacher. C’est aux gens de s’adapter à mon modèle familial et pas l’inverse, d’autant plus que c’est moi aujourd’hui qui porte ce schéma là et non plus ma mère.
As-tu des ressources et des conseils à donner à des enfants “grands” aujourd’hui qui sont dans cette situation ? Histoire de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls et de les aider à se projeter ?
D’abord, j’ai eu la chance d’avoir des exemples car j’ai grandi dans ce groupe de copines de ma mère et donc avec des enfants de familles homoparentales. On a tendance à vouloir étouffer ou inhiber les gens sur le fait qu’on est une sorte d’anomalie, mais il faut se rassurer sur le fait qu’on n’est ni seuls ni les premiers. Cela fait quand même des années, ce n’est en rien quelque chose de nouveau.
Je voudrais dire à ces enfants là, ou adultes, que c’est une chance d’avoir été élevés avec beaucoup plus de référentiels. Chaque famille est différente, le modèle Ricoré un papa-une maman et deux enfants n’existe plus. Il vaut mieux arrêter de réfléchir en termes de genre, mais plutôt en termes de référentiels. LA personne peut nous apporter tout ce qui est nécessaire, que ce soit un homme ou une femme, il n’y a aucun manque.
Aujourd’hui, ma fille est métisse, on peut trouver des modèles de référence. On lit beaucoup les livres “Les femmes qui ont fait l’histoire”, et je regrette qu’il n’y ait pas encore de catégorie queer, ni de fille queer racisée dans cette collection. Il faut vraiment que la prochaine génération ait accès à ces histoires-là.
Moi j’ai comme référence De Niro qui avait un père homosexuel, et je me rends compte que je suis entouré de gens beaucoup moins inhibés, ne serait-ce que sexuellement. Et on n’est pas toustes devenus homosexuel·les !
Pour finir, quel message as-tu envie de transmettre à la société ? Que dirais-tu à ceux et celles qui veulent s’engager pour soutenir nos familles ?
On reste quand même une minorité invisibilisée. C’est à la société de s’ouvrir au fait qu’il n’existe pas un seul modèle de famille. J’invite les personnes intéressées à essayer de lutter un petit peu pour nos familles car nous sommes entourés de gens de plus en plus réac’.
Pour moi, la communication est la meilleure solution, il est possible de montrer aux gens qui ne veulent pas voir de bons exemples à quel point on peut vivre comme ça et être heureux.
Je sens qu’il y a quand même une pression sociale de passer par le médecin pour procréer, qui doit décider si oui ou non ces personnes peuvent avoir des enfants, et j’aimerais bien que ce ne soit plus un tabou. Dire aux gens qu’il est possible d’utiliser une pipette pour concevoir un enfant est une libération importante. Je suis à nouveau étonné dans un sens très positif de l’avoir lu dans le témoignage de Libération.